Quand on fait de la photo en concert, sur le vif, le but est bien sûr d'arrêter sur image le geste ou le mouvement du musicien dans ce qui semble être un moment d'intense émotion, de grande expressivité, de vérité peut-être. Pour moi, l'image arrêtée est un complément indispensable de la musique en ce qu'elle donne à entrevoir l'état intérieur du musicien, sa concentration, son plaisir, sa complicité avec les autres, sa douleur, sa douceur, sa rage, sa sérénité, sa plénitude, et tant d'autres sentiments qui révèlent, en fin de compte, bien évidemment, son humanité.
À ce titre j'ai été servi plus souvent qu'à mon tour. Aucune photo ne témoigne du moment de grâce, où, à la fin de mon premier 'grand' concert en club, l'immense contrebassiste américain Ray Brown joua 'Round Midnight, seul, à l'archet, à moins d'un mètre de la petite table où j'étais installé. Je n'ai pas osé... Mais quelques photos existent de ma première 'rencontre' avec le guitariste canadien Ed Bickert. Et ce sont peut-être celles-là - ces photos prises autant que celles que je n'osai pas prendre - qui ont amené toutes les autres, d'ailleurs, tant ces fractions de secondes furent intenses.
Et les autres furent très nombreuses et très variées, captées au vol dans les clubs, les salles de concerts, les tentes des festivals, sous terre dans les caves, en plein air, ici ou ailleurs, partout où les musiciens de jazz racontent des histoires avec leurs instruments, prolongements de leur corps et de leur imagination toujours renouvelée.
J'ai souvent l'impression de vivre moins intensément un concert si j'y vais sans appareil photo. Mon plaisir redouble quand je regarde la musique autant que je l'écoute, l'oeil aux aguets dans le viseur. Et la concentration m'aide sans doute à recevoir ces histoires que je vois prendre forme en direct.
Ces photos sont également des histoires... et le cycle continue. 'Photography is jazz for the eyes' disait le grand William Claxton, un des 'pères' de la photo de jazz américaine. Puisque je ne saurais mieux dire, je lui emprunte la formule et la fais mienne sans vergogne!
L'improvisation en jazz est un exercice faramineux. Ceux qui s'y livrent nous offrent des moments hors du commun : regardons-les se livrer à nous tout entiers, avec beaucoup de générosité, dans des instants de vie qui - pour moi - comptent parmi les plus beaux.